«Les compétences cliniques et pédagogiques sont très similaires et se nourrissent les unes et les autres»

Interview avec Noëlle Junod Perron. Elle a obtenu le «Teaching Award 2018» lors du congrès d’automne de la SSMIG à Montreux pour son activité d'enseignement pre-gradué et post-gradué dans le service de médecine de premier recours (SMPR) et à la Faculté de Médecine de Genève, mais également, pour la mise sur pied d'un curriculum de formation novateur et performant à l'attention des internes du SMPR.

Vous venez de recevoir un «award» pour votre activité comme enseignant.

 

Je suis très touchée d’avoir reçu ce prix et ne m’y attendais pas. C’est très encourageant que l’engagement dans l’enseignement soit reconnu par la SSMIG au même titre que la recherche ou les projets d’amélioration de la qualité tels que smarter medicine.


À votre avis, qu’est-ce qui distingue une bonne enseignante?

 

Une bonne enseignante se distingue par sa capacité à aider l’apprenant à s’autonomiser par la mobilisation de  ses ressources et connaissances, à dispenser les informations en fonction des besoins et à stimuler sa réflexivité. Cela exige indéniablement de très bonnes compétences cliniques et pédagogiques mais également des qualités humaines et professionnelles telles que la disponibilité, le respect de l’autre, l’intégrité, l’engagement, l’enthousiasme, l’empathie et la réflexivité afin d’être un bon modèle de rôle.
Je n’ai pas particulièrement la main verte mais de manière métaphorique, je conçois le métier d’enseignant en milieu clinique comme celui d’un jardinier : son rôle est de préparer et aménager le terrain afin de favoriser la croissance harmonieuse, de l’arroser ni trop souvent ni trop rarement, de lui laisser en somme suffisamment d’espace et de liberté pour s’épanouir tout en jouant le rôle de tuteur pour son développement… et tout cela dans un environnement parfois difficile,  soumis à des pressions imprévisibles et contraires.

 

Que pensez-vous que vos étudiantes et étudiants apprécient particulièrement chez vous ou dans votre manière d’enseigner?

 

Il faudrait le leur demander et comme j’interviens dans différents formats d’enseignement (supervision, animation de petits groupes, enseignement avec patients simulés, etc…), il m’est difficile de répondre avec précision ! Des retours que je reçois, les éléments qui ressortent régulièrement sont l’enthousiasme, l’énergie à transmettre et partager, l’intérêt que j’ai pour les apprenants, leur développement personnel et professionnel. J’ai également à cœur de sensibiliser les étudiants et les internes à une approche à la fois humaniste, globale et rigoureuse de la médecine à l’égard des patients et de leurs problèmes de santé et de les aider à considérer la complexité, la chronicité et l’incertitude comme sources d’enrichissement, de créativité et de stimulation plutôt que des écueils à éviter.  

 

Quelle est votre motivation à endosser le double rôle de médecin et d’enseignant?

 

Ce double rôle de médecin et d’enseignant rend le métier encore plus passionnant. L’enseignement exige de maîtriser la matière que l’on veut partager et en ce sens, c’est la meilleure des formations continues. Enseigner, c’est également se confronter à des attentes, des perceptions, des connaissances différentes et cela nécessite constamment de se remettre en question. Finalement, les compétences cliniques et pédagogiques sont très similaires et se nourrissent les unes et les autres. Elles nécessitent toutes deux une démarche de raisonnement rigoureuse, de la curiosité et de la créativité dans les solutions.

De la même manière que j’aime diagnostiquer un problème de santé ou trouver de manière concertée avec le patient le meilleur moyen de l’aider, j’aime aller à la rencontre des étudiants ou internes/médecins-assistants, détecter là où il y a un besoin d’amélioration ou une difficulté et trouver ensemble les moyens de les combler ou les surmonter. Finalement, c’est également une responsabilité sociale que de former les générations futures de médecins à une pratique responsable, efficace et humaine, et de leur transmettre des compétences, des attitudes et valeurs attendues par notre société.

 

Quels sont les futurs défis de l’enseignement au niveau de la MIG?

 

Un défi majeur est de renforcer et davantage professionnaliser l’encadrement et l’accompagnement des internes/médecins-assistantes durant la formation post-graduée. Ces dernières années, les facultés ont mis beaucoup d’énergie et de ressources à développer des cursus solides de médecine interne générale (notamment dans le domaine ambulatoire) et à former les superviseurs dans ce domaine afin de rendre cette discipline plus visible et  attrayante aux yeux des étudiants. En dépit des efforts fournis par l’ISFM et la SSMIG pour fixer des exigences en terme de compétences à acquérir, il n’y a encore à mes yeux pas suffisamment de processus et structures institutionnels qui permettent de s’assurer que les internes/médecins-assistants ont acquis ces compétences durant leur formation postgraduée.

L’introduction des mini CEX et DOPS est certainement une bonne chose. Cependant quatre évaluations annuelles basées sur des observations directes suivie d’un feedback et une évaluation annuelle signée par le responsable de formation sont clairement insuffisantes pour s’assurer de la bonne progression des internes et repérer les difficultés à surmonter. Il n’existe pas non plus de programme de remédiation pour les internes, malgré le fait que chaque année, dans mon expérience et conformément aux données de la littérature, environ 10 % de ces derniers présentent des difficultés importantes de raisonnement, des problèmes de professionnalisme et/ou de troubles affectifs.

Dans certains pays où la formation postgraduée est plus structurée avec une évaluation plus rigoureuse et régulière des compétences, de tels programmes de soutien et de remédiation ont été mis en place et s’avèrent efficaces. Un autre défi à relever est celui de l’adéquation de la formation ambulatoire. Ce sujet m’intéresse particulièrement puisque je travaille en milieu ambulatoire depuis 15 ans et en cabinet libéral depuis près de 2 ans : les exigences concernant la formation en médecine interne générale ambulatoire sont encore insuffisantes (6 mois) pour permettre une pratique autonome en cabinet. La formation devrait permettre non seulement l’acquisition de compétences cliniques plus larges mais également non cliniques telles que des compétences entrepreneuriales, médico-légales et assécurologiques.


Un pilier central de la SSMIG est la promotion de la relève. À votre avis, quels sont les meilleurs arguments pour rallier de jeunes futurs médecins à la MIG?


Je pense que les axes proposés par la SSMIG vont dans le bon sens : créer une communauté de pratique en intégrant des jeunes au sein de la société, favoriser les bons rôles modèles d’internistes généralistes, mettre en avant la diversité des activités cliniques, les exigences intellectuelles requises et la richesse du travail interprofessionnel (sans toutefois discriminer les autres disciplines médicales), favoriser le mentorat, permettre des carrières professionnelles à temps plein ou partiel alliant travail clinique – enseignement - recherche, que ce soit en milieu hospitalier ou ambulatoire, dans des policliniques médicales et également dans des cabinets médicaux privés… ce sont toutes des pistes intéressantes et qui  reflètent le dynamisme de la société.
Si je pense au cursus ambulatoire de la médecine ambulatoire, je serais également en faveur de plus d’échanges entre superviseurs/mentors de cabinet et instituts de formation académiques. Un rattachement des superviseurs en cabinet à des instituts de formation académiques aiderait à garder un lien fort entre les deux milieux et favoriserait une plus grande académisation des activités de médecine interne générale ambulatoire d’une part et une meilleure (re)connaissance de la discipline d’autre part. Cela permettrait également aux jeunes de réaliser que l’installation n’est pas un saut dans le vide ni n’est synonyme d’isolement et de renoncement par rapport à ce qui fait la richesse d’une vie d’équipe en institution. La réalité est en effet toute autre.
Cela dit, je pense aussi que la promotion de la discipline passe également par une réorganisation du système de santé mettant davantage l’accent sur le rôle central de l’interniste généraliste dans la coordination des soins et par une revalorisation financière mais cela dépasse le cadre de la question.

 

La personne :

La Dre Noëlle Junod Perron est détentrice d'un titre de spécialiste en médecine interne générale, de même que d'un Master puis d'un PhD in Health Profession Education de l'Université de Maastricht, Pays-Bas. Elle a été nommée Privat-Docent à l'Université de Genève en 2014 puis chargée de cours en 2018.
Installée depuis 2 ans au Centre Medical de Lancy à 50%, la Dre Noelle Junod Perron est également médecin adjointe agrégée à 50% à l'Institut hospitalo-universitaire de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève et à l’Unité de recherche et développement en éducation médicale à la Faculté de Médecine de Genève.
Depuis sa nomination comme cheffe de clinique en 2001, puis de médecin adjointe en 2009 au Service de médecine de premier recours (SMPR), la Dre Noelle Junod Perron s'est fortement investie non seulement dans l'enseignement pré-gradué et post-gradué du service de médecine de premier recours et de la Faculté de Médecine de Genève, mais également, dans la mise sur pied d'un curriculum de formation novateur et performant à l'attention des internes du SMPR.
Depuis sa nomination en qualité de médecin adjointe agrégée à l’Institut hospitalo¬universitaire de médecine de premier recours en 2017, la Dre Noëlle Junod Perron coordonne et développe des formations de type « Teach the teachers » à l'intention des chefs de clinique des départements considérés comme relevant de la médecine de premier recours à Genève. Elle est également responsable du programme de formation en communication médecin-patient pour les étudiants de la faculté de médecine.